Après un silence désolant sur cette lutte commencée il y a bien des années, les articles sur la ZAD sont désormais légion dans la presse. A les suivre, à gauche comme à droite, je ne peux que noter que loin de dépasser le silence initial, ils le doublent soit, par la fiction, soit par la récupération.
Je dis fiction, puisqu’ils reprennent en quelque sorte les topiques de la littérature de voyage (voire, de voyage imaginaire). Le narrateur part pour quelques jours en observateur d’emblée extérieur, dans un lieu qui n’est pas considéré comme lieu de villégiature coutumier, il décrit le lieu, dresse des portraits des autochtones, rencontre des créatures merveilleuses ou terrifiantes, apporte ici ou là une touche d’exotisme.
Et par ces invariants forts bien répétés, je dois avouer, que lorsque je suis rentrée d’un premier passage dans la ZAD, c’est ce type de narration qui m’a été demandé par la plupart des interlocuteurs. J’en ai été profondément écœurée. A mon retour, c’est de politique dont je voulais parler et seulement avec quelques copains. J’ai donc préféré, avec bon nombre de personnes, garder le silence ou dire que j’étais bien trop fatiguée pour raconter quoi que ce soit, que j’en parlerai plus tard ou autre dérobade utile.
Par ailleurs, je dis récupération, puisque les journalistes/narrateurs ne sont évidement pas sans point de vue. Ce lieu de lutte devient le lieu d’un usage du discours d’État, le lieu d’une transmission d’une image de l’État, alors qu’à bien y regarder, ce lieu de lutte cherche à se dégager de tout discours d’État et créer son propre discours sur lui-même. Et il me semble que ce n’est pas seulement du fait d’une volonté de refus de l’État, mais aussi, pour certains, d’un repenser l’État. Il est ce qu’on pourrait appeler une « zone de l’en-dehors », une « zone libérée » ou du moins, une zone qui tend à se libérer. Évidement, je ne suis pas sans point de vue non plus, et on peut dire qu’étant donné mes orientations politiques, il me plait d’employer ce terme de « zone libérée ».
A titre d’exemple, je peux renvoyer à la lecture d’un article publié dans Le Figaro du 7 décembre de cette année « Les insurgés de Notre-Dame-des-Landes » par Raphaël Stainville. Dans Libération, on peut lire « Notre-Dame-des-Landes : résistance, mode d’emploi » de Sylvain Mouillard, publié le 29 novembre.
Je ne fais pas d’analyse de champs lexicaux, je préfère laisser le lecteur libre d’opérer par lui même, dans une lecture croisée de ces deux articles les tensions qui s’y dressent par les écarts de vocabulaire.
Je ne peux cependant m’empêcher de noter dans l’article de Raphaël Stainvile deux points qui m’ont fait sourire. Tout d’abord, dans la phrase « Seulement qu’il a quitté son squat dans le Morbihan deux jours plus tôt «pour venir en aide aux camarades assiégés» ». Étant donné que squatter remet en question la notion de propriété par la réappropriation d’un lieu, je ne vois pas comment on peut employer un article possessif devant le mot squat.
Par ailleurs, j’ai relevé une mignonne erreur, la radio de la ZAD, radio Kaxon, devient dans cet article radio Zodiac. Il me semble qu’il y a d’autres erreurs, par exemple le nom choisit pour les communications au talkie, lorsque R.S. parle d’une « Juliette 6 ». Il est allé à pied à Jérusalem, a-t-il vraiment été « infiltré » sur la ZAD ? On peut se le demander. Devant ces erreurs, je suis dans une attitude de double méfiance : méfiance à l’égard de sa parole, de la véracité de sa narration. Une question se pose, ces erreurs ne sont-elles pas aussi figures, des figures de fiction qui refont l’image de la ZAD et la transforme en un espèce de lieu mythique, mythologique. Dans ce sens, ce n’est plus la parole du narrateur qui semble artificielle, c’est le lieu lui-même. Il est invalidé par les effets de fiction du narrateur qui, dans ce sens, tiennent plus de l’ironie que de l’erreur. Ironie qui est tournée vers ceux qui connaissent la ZAD et qui par conséquent, se trouvent destinataires implicites de cet article.
On peut remarquer, pour le coup, que l’article de Libération joue de l’effet inverse. Il se veut être un rapport parlant « vrai », il s’annonce dès le titre comme un « mode d’emploi ». Il joue de l’effet de réel. Le narrateur est accompagné d’un guide et use et abuse des « guillemets ». Il se pose en quelque sorte comme passeur. Mais, sur un registre politique, comment peut-on, dans un lieu où comme il le dit, l’organisation est horizontale, prendre la voix d’un seul comme la voix de tous ?