systémique

Nous discutons avec W. des tournants que prennent la lutte à Notre-Dame-des-Landes. Dès la fin de l’hiver, les dissensions sur place étaient palpables. Il y a au centre, cette manière qu’a Julien Durand, qui au plus violent de la lutte, juché sur son tracteur se proclamait « paysan anarchiste », utilisant la diabolisation du mouvement opérée par la presse.

Ces derniers temps, sa réaction à la diabolisation et le passage dans lequel il s’engouffre, entraînant toute l’ACIPA à sa suite sont tout différents. Il ne se dresse plus contre le discours dominant, mais y fait écho, condamnant les actes de certains militants n’envisageant pas la lutte sous la même optique que la sienne, puisque plus proche du front de guerre qu’ont généré les expulsions de novembre dernier et l’occupation de la ZAD par la gendarmerie mobile.

Dans cet axe, une différence de plus en plus marquée est faite entre les adhérents de l’association, les paysans locaux, les « opposants historiques » et ceux qui sont nommés « les zadistes venus de toute l’Europe », les « professionnels de la violence », les « squatteurs » et autres qualificatifs, qui dans le langage journalistique, sont évidement dévalorisants.

La lutte meurt. En vérité, oui, la lutte se meurt. Sur la ZAD, ce que certains d’entre nous ont pu vivre de fort, de libre est écrasé par ces institutionnalistes. L’enjeu dépasse largement celui de l’aéroport, qu’ils s’en souviennent.

Avec cette note, je suis et redouble le clivage. Tristement, l’écriture des journalistes reproduisant le discours d’État est performative. Ceux qui lisent la presse, reprennent à leur charge ce discours de la domination, et réalisent, dans le réel, cette interprétation, qui n’est que celle d’un point de vue.

suspect

Sémantique :

« Nous sommes rassurés, nous avons un suspect arrêté ».

Autrefois, on attendait d’arrêter le coupable pour être vraiment rassuré. Désormais, il suffit d’avoir un suspect, d’ailleurs, pour être encore plus rassuré, on peut le tuer.

Combien de blessés faudra-t-il encore ?

Suite aux affrontements de lundi, Julien Durand, lors d’un entretien avec
un journaliste de Libération crée un clivage de plus entre divers types d’opposants à l’aéroport. Les classifiant au passage pour créer une dichotomie entre légitimes et non-légitimes.

Pire, il accuse, ceux qui se défendent face aux violences policières dont les méfaits ne sont plus à démontrer, de vouloir nuire à la lutte : « C’est de la provocation ! Une petite équipe de manipulateurs tente de faire dégénérer le mouvement d’opposition ! ».

Par ailleurs, avec une mauvaise foi inacceptable, il oublie l’opération Yes chicanes ! et tout le travail de ceux qui tiennent les routes pour que les riverains puissent circuler au mieux tout en protégeant la zone : « Les opposants historiques ont alors tenté d’expliquer que cette route, la seule restant en circulation libre dans la ZAD, est indispensable au travail des riverains et des paysans. «Manipulés par quelques agitateurs irresponsables, ils n’ont rien voulu entendre», déplore le porte-parole. »

Quels opposants historiques ? Qu’est-ce que cela veut dire « opposants historiques » ? Ceux des opposants qui subissent depuis des années les violences des gendarmes mobiles perdent-ils leur ancienneté lorsqu’ils se défendent ?

En outre, cette route n’est pas en « circulation libre » puisque le carrefour est constamment occupé par les forces de l’ordre depuis novembre 2012. Forces de l’ordre qui appliquent des ordres qu’eux-mêmes ne sont pas capables d’expliquer tant ils sont ineptes.

Quel est ce jeu opéré par Julien Durand, un jeu de communication pour tirer la couverture à soi et valoriser sa position tout en crachant sur ceux, qui au mépris des risques de blessures, d’arrestations arbitraires protègent « son territoire », la lutte. C’est utiliser certains occupants comme chair à canon et simultanément, se dégager de tout risque de
conséquences. C’est obscène.

Si personne n’avait résisté lors des affrontements de novembre, Julien Durand pourrait-il encore aujourd’hui parler de cette lutte, être encore en lutte ?

Faut-il rappeler à Julien Durand la longue liste de blessés sur la zone ? Faut-il rappeler que lutter contre l’aéroport et son monde, c’est lutter contre les violences policières, l’usage de ces armes dites non-létales dont l’État français fait désormais un commerce florissant qui s’exporte partout dans le monde ?

Il parle en son nom, sous couvert de son statut de porte-parole de l’Acipa pour légitimer sa parole. N’est-ce pas, justement, de la manipulation ?

L’intelligence de la lutte n’est pas la création de dissensions entre diverses modalités d’opposition. Et pourtant, trop souvent, certains font ce jeu du clivage sans reconnaître l’importance de chacun, sans reconnaître comme les différences des uns et des autres sont riches pour répondre à l’arbitraire de l’État sur tous les fronts.

Julien Durand veut-il que nous soyons blessés pour lui, veut-il que nous soyons emprisonnés pour lui ? Veut-il que nous nous couchions devant les gendarmes mobiles pour lui ? Veut-il faire le jeu de l’État qui diabolise les opposants en les désignant comme « professionnels de la violence », « terroristes » et autres qualificatifs ineptes ?

Il n’est pas question de dichotomie entre résistance pacifique ou pas, il est question de défense, de sauvegarde. Combien de blessés faudra-t-il encore pour que lui, qui ne vit pas chaque jour en subissant les provocations policières, les humiliations, comprenne que la résistance peut prendre plusieurs formes ? Combien d’éclats de grenades dans les chairs de ceux qui luttent à ses côtés faudra-t-il pour qu’il comprenne qu’il y a une différence notoire entre défense et attaque ?

Il n’est pas question de faire le jeu des forces de l’ordre qui font perpétuellement cette puérile inter-accusation cherchant qui a commencé, mais seulement de comprendre que la violence d’État est inacceptable.

Alice

 

Une invitation à ne pas se lever le matin, à rester au lit avec quelqu’un, à y fabriquer des instruments de musique et des machines de guerre.

Collectif A/Traverso, Alice é il diavolo

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la parole d’un seul n’est pas la voix de tous

structure horizontale dit-on. reste que, même sans hiérarchie déterminée par des statuts, il se refait une hiérarchisation. par la grande gueule, par l’ancienneté, par la compétence, elle peut prendre plusieurs formes et pas les meilleures.

et là, malgré ce que l’on cherchait à éviter se remet en place : la voix d’un seul ou les voix de quelques un prennent le pas sur la voix de chacun, la voix de tous.

la voix de la grande gueule est la plupart de temps, la voix de l’aigreur. c’est la voix de celui ou celle qui croit deviner, sous le moindre geste, la moindre parole, la conspiration et l’adhésion de celui-là à cette manipulation  mensonge. la voix de la grande gueule est souvent grossière, elle donne l’illusion de la liberté de ton en coupant la parole à tous. c’est parler fort, voire brailler. elle fatigue, on retient ses schémas simplistes, on se dit que peut-être, ce n’est pas faux, quelque part.

la voix de l’ancienneté sait tout, elle a l’expérience. elle a déjà vu comment cela se passe, on ne la lui fait pas. elle fait taire l’autre interrogeant sa légitimité à parler, à être là. elle lui ôte le droit de parole ou le poids de sa parole. elle refait du statut là où l’on voudrait que cela ne soit pas de mise.

la voix de la compétence joue aussi de la légitimité. la compétence. c’est le savoir, c’est le pouvoir qui s’affirme de biais. elle remet en question, juge. elle a l’arrogance de se croire dépassant la compétence en la remettant en question alors qu’elle en est le jouet, encore.

briser les hiérarchie, c’est aussi remettre en question ces position que l’on s’octroie dans le groupe, celle qui sont inclination. une grande gueule, l’ancienneté, une compétence, cela peut-être utile au collectif, au groupe, mais dans l’usage. non dans la recréation de statut, de pseudos jeux de légitimité. chacun est légitime, pas plus, pas moins que l’autre. l’enjeu est de recueillir la parole, la position de chacun, la voix de tous et non pas qu’un, en prenant l’initiative de l’expression finisse par faire taire chacun, tous les autres.

La presse et la ZAD, topiques de la littérature de voyage.

Après un silence désolant sur cette lutte commencée il y a bien des années, les articles sur la ZAD sont désormais légion dans la presse. A les suivre, à gauche comme à droite, je ne peux que noter que loin de dépasser le silence initial, ils le doublent soit, par la fiction, soit par la récupération.

Je dis fiction, puisqu’ils reprennent en quelque sorte les topiques de la littérature de voyage (voire, de voyage imaginaire). Le narrateur part pour quelques jours en observateur d’emblée extérieur, dans un lieu qui n’est pas considéré comme lieu de villégiature coutumier, il décrit le lieu, dresse des portraits des autochtones, rencontre des créatures merveilleuses ou terrifiantes, apporte ici ou là une touche d’exotisme.
Et par ces invariants forts bien répétés, je dois avouer, que lorsque je suis rentrée d’un premier passage dans la ZAD, c’est ce type de narration qui m’a été demandé par la plupart des interlocuteurs. J’en ai été profondément écœurée. A mon retour, c’est de politique dont je voulais parler et seulement avec quelques copains. J’ai donc préféré, avec bon nombre de personnes, garder le silence ou dire que j’étais bien trop fatiguée pour raconter quoi que ce soit, que j’en parlerai plus tard ou autre dérobade utile.

Par ailleurs, je dis récupération, puisque les journalistes/narrateurs ne sont évidement pas sans point de vue. Ce lieu de lutte devient le lieu d’un usage du discours d’État, le lieu d’une transmission d’une image de l’État, alors qu’à bien y regarder, ce lieu de lutte cherche à se dégager de tout discours d’État et créer son propre discours sur lui-même. Et il me semble que ce n’est pas seulement du fait d’une volonté de refus de l’État, mais aussi, pour certains, d’un repenser l’État. Il est ce qu’on pourrait appeler une « zone de l’en-dehors », une « zone libérée » ou du moins, une zone qui tend à se libérer. Évidement, je ne suis pas sans point de vue non plus, et on peut dire qu’étant donné mes orientations politiques, il me plait d’employer ce terme de « zone libérée ».

A titre d’exemple, je peux renvoyer à la lecture d’un article publié dans Le Figaro du 7 décembre de cette année « Les insurgés de Notre-Dame-des-Landes » par Raphaël Stainville. Dans Libération, on peut lire « Notre-Dame-des-Landes : résistance, mode d’emploi » de Sylvain Mouillard, publié le 29 novembre.

Je ne fais pas d’analyse de champs lexicaux, je préfère laisser le lecteur libre d’opérer par lui même, dans une lecture croisée de ces deux articles les tensions qui s’y dressent par les écarts de vocabulaire.

Je ne peux cependant m’empêcher de noter dans l’article de Raphaël Stainvile deux points qui m’ont fait sourire. Tout d’abord, dans la phrase « Seulement qu’il a quitté son squat dans le Morbihan deux jours plus tôt «pour venir en aide aux camarades assiégés» ». Étant donné que squatter remet en question la notion de propriété par la réappropriation d’un lieu, je ne vois pas comment on peut employer un article possessif devant le mot squat.
Par ailleurs, j’ai relevé une mignonne erreur, la radio de la ZAD, radio Kaxon, devient dans cet article radio Zodiac. Il me semble qu’il y a d’autres erreurs, par exemple le nom choisit pour les communications au talkie, lorsque R.S. parle d’une « Juliette 6 ». Il est allé à pied à Jérusalem, a-t-il vraiment été « infiltré » sur la ZAD ? On peut se le demander. Devant ces erreurs, je suis dans une attitude de double méfiance : méfiance à l’égard de sa parole, de la véracité de sa narration. Une question se pose, ces erreurs ne sont-elles pas aussi figures, des figures de fiction qui refont l’image de la ZAD et la transforme en un espèce de lieu mythique, mythologique. Dans ce sens, ce n’est plus la parole du narrateur qui semble artificielle, c’est le lieu lui-même. Il est invalidé par les effets de fiction du narrateur qui, dans ce sens, tiennent plus de l’ironie que de l’erreur. Ironie qui est tournée vers ceux qui connaissent la ZAD et qui par conséquent, se trouvent destinataires implicites de cet article.
On peut remarquer, pour le coup, que l’article de Libération joue de l’effet inverse. Il se veut être un rapport parlant « vrai », il s’annonce dès le titre comme un « mode d’emploi ». Il joue de l’effet de réel. Le narrateur est accompagné d’un guide et use et abuse des « guillemets ». Il se pose en quelque sorte comme passeur. Mais, sur un registre politique, comment peut-on, dans un lieu où comme il le dit, l’organisation est horizontale, prendre la voix d’un seul comme la voix de tous ?